L'étoile a pleuré rose...

L'étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,
L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.

Arthur Rimbaud1870/1871

 

  Pourquoi couleurs de Voyelles   !

Comme souvent la peinture concentre une série de rencontres.

  •  Toutes les semaines scolaires, je lis un livre dans une école. Devant un auditoire restreint d'enfants, il m'est arrivé de présenter un album où il était question de musique. Le personnage principal essaye de perpétuer le pari engagé par Arthur Rimbaud. Il pense pouvoir envisager de remplacer les notes de musique par des couleurs. Impressionnés par ce récit, les enfants s'engagent dans un débat. Ils se prennent au jeu. Intéressé par cette dynamique, j'ai accompagné par d'autres lectures et d'autres documents en tentant de puiser tous les éléments qui puissent agrémenter et alimenter les séances qui suivaient.

Au delà de l'anecdote, cette rencontre correspondait à mes  recherches. Questionné, je me suis alors engagé d'une autre manière dans ce domaine. J'avais fait déjà un long bout de chemin avec la poésie de Rimbaud en étant fortement interrogé par sa volonté permanente de dérèglement. Je la retrouve à nouveau d'une autre manière, à travers ma pratique de la peinture. Il est vrai que lors de mes travaux universitaires, j'avais plus travaillé sur la dimension épique et héroïque du sonnet « Démocratie » (1873/75). ....

« Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le tambour.
   « Aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques......
..

Mes préoccupations de peintre ont consacré le retour à Rimbaud. Il s'est effectué du coté de la couleur. J'ai vécu quatre années avec le poème Voyelles. C'est ce passage de couleurs, il s'est imposé à moi et il inspire mon parcours. J'étais heureux à la lecture du poète Yves Bonnefoy qu'il intitule son ouvrage « notre besoin de Rimbaud 1» à ce propos il assigne à la poésie de tenter : « d'être une expérience directe de l'unité, de sa présence au cœur de tous les actes de l'existence et de tous les emplois de mots, dans ce seul vrai infini qu'est la réalité quotidienne »

Il n'y pas de hasard. Cette démarche a mis à jour, ce que je détecte toujours après coup, en revisitant les éléments permanents de mon intervention et les domaines qui me sont indispensables à pratiquer, à vivre et à comprendre.

En posant des lettres sur la toile ou le papier, je me suis retrouvé, après ces quarante années de travail professionnel, confronté de nouveau à des lettres et à leurs traces. J'étais ramené à mon apprentissage. Une période de ma vie qui n'a pas été forcément une partie de plaisir :

  • Apprenti géomètre, durant trois longues années, j'ai tracé sur des calques, à la plume et à l'encre de chine, des kilomètres de lignes avec des lettres des mots, des chiffres. Il fallait le faire à la maison, après mes longues journées de travail. Je devais m'entrainer, il n'y avait pas d'autre solution que de faire et refaire. Le lendemain matin je devais montrer les épreuves. Bien sur, jamais ce n'était parfait. Souvent luttant contre la fatigue, je haïssais ces lettres et ne leur trouvais aucun sens. D'autant qu'à la fin de mon apprentissage, le normographe à été accepté ainsi que tous les moyens mécaniques de reproduction. Mes pénibles heures n'avaient servi à rien. Je n'ai plus du tout eu besoin de tracer directement les lettres à la plume. Alors que dans la panoplie de l'apprenti, mes maîtres allouaient la qualité d'un métier à tous ces tours de mains. Ces gestes ajoutés les uns aux autres constituaient un ensemble, un savoir faire, une réputation bref un métier. Sous la technique et le temps gagné, les évolutions déplaçaient la nature de l'intervention et son contenu.

 

En me laissant bercer par sa petite musique. Je suis entré en résonance avec le poème. Je n'ai nullement eu l'intention d'en dévoiler le sens. Arthur Rimbaud nous donne quelques indications qui ne permettent pas de résoudre l'énigme « j'inventai la couleur des voyelles !- A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert,- Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction. » (in une saison en enfer). Beaucoup se sont essayés à décrypter sans vraiment résoudre le problème. Même Verlaine, qui lui, s'y connaissait en Rimbaud affirmait qu'il n' y avait aucune intention derrière les couleurs. Jusqu'aux critiques qui se sont affrontés sur des interprétations. Je me suis simplement borné du point de vue de la peinture de traduire. J'ai placé les couleurs en essayant d'imaginer un ensemble équilibré. Ma seule préoccupation étant d'essayer d'assurer que chaque toile devienne en soit un poème coloré, certes, mais poème quand même. Ai je réussi ?

Ces éléments appartiennent à mon cheminement de peintre. Je trace mon sillon. Avec mes découvertes et mes recherches. Depuis mes dernières expositions. Je me suis lancé dans l'apprentissage d'une nouvelle pratique : la gravure. Je découvre cette discipline, ses exigences, ses méandres aux pratiques infinies. Il faut une bonne partie de vie pour être au point tellement les dispositions pratiques s'apparentent au compagnonnage. Elles laissent autant de liberté d'action quelles exigent la rigueur. J'ai abordé cette discipline à partir de mes aquarelles et de mes toiles acryliques. J'avais besoin d'approfondir, je m'interrogeais toujours sur le statut du trait. Il anime, fait vibrer, organise, partage la surface. Dans sa réalité, la gravure est centrée sur le trait, sur le cuivre ou le carton. L'ensemble permet l'épreuve. J'avais une partie de la réponse que j'attendais. Elle a enrichi mon approche. Elle me permet d'aborder ainsi le trait d'une autre manière. La place des lignes détermine le sens des formes, organise les couleurs.

Comme toujours, une exposition est une étape. Elle résume mes interrogations et mes certitudes. Le poème a été l'excuse, la couleur la médiation. J'ai travaillé sur mes toiles en ayant le sentiment d'être comme le maçon qui édifie un mur de pierre : « parce que profondeur,couleur, forme,ligne,mouvement, contour sont des rameaux de l'être.. (Merleau Ponty l'œil et l'esprit )». J'ai tenté ces poèmes colorés pour enrichir: « ma grammaire personnelle ». J'ai imaginé un langage, une écriture. Ecrivain sur toile mon écriture est un parti pris. 

Yves Bucas-Français (Janvier 2010)

1Yves Bonnefoy Notre besoin de Rimbaud la librairie du XXI siècle Seuil mars 2009