PASSAGES COULEURS

 

« L'art ne reproduit pas le visible ; il rend visible... »

Paul Klee théorie de l'art moderne.Médiations, Denoël Gonthier

« La vision du peintre est une naissance continuée. »

Merleau Ponty L'oeil et l'espritfolio essais

 

<Passages couleurs

En travaillant sur l'ensemble des paramètres du domaine pictural, j'ai rencontré une énigme. Modestement, j'essaye, d'en percer les éléments constitutifs. Je me suis engagé dans ce rapport singulier à la pratique de plusieurs médiums, en premier lieu l'aquarelle et à la suite la peinture acrylique puis la gravure. Je cherche à résoudre une question redoutable : qu'est ce qui fait la complétude d'un tableau ?. N'étant pas le seul à me poser cette question et n'ayant pas encore trouvé la réponse, je continue avec persévérance à chercher.

Sur ces cimaises virtuelles, des aquarelles et des toiles, des gravures elles prolongent mes sanguines. Sur le papier ou sur la toile, je suis parti des croquis dans une production de partis pris, comme autant d'excuses. En mettant en scène ces lignes et ces touches de couleurs, j'avais le désir, de donner du sens. J'ai essayé de trouver et d'imposer à un ensemble ma cohérence. Mon interprétation s'est construite au regard d'un modèle éphémère reposant sur une palette colorée.

J'ai à dire avec de la couleur. Dans cette syntaxe singulière, il m'arrive souvent de rêver et de pouvoir assigner des couleurs aux idées. Pour moi, chaque touche de couleur, chaque passage de pigment sur la toile ou sur le papier constituent lorsqu'ils s'ajoutent les uns aux autres, l'équivalent d'un construit social. Je ne peux que m'inscrire dans les propos de Paul Cézanne, qui affirme que « Peindre signifie penser avec un pinceau ». La suite de couleurs organise une spatialité, elle lui donne une certaine cohérence. Elle lui assigne le domaine de l'expression.
Confronté à ma toile ou ma feuille d'aquarelle, je ne suis pas en mesure de vous expliquer ce qui m'amène à choisir telle et telle couleur. Je ne peux expliquer l'usage d'une nuance, ou le recours à un registre plutôt qu'un autre. Tous correspondent à des gestes et des emprunts. Ils s'imposent à moi.
Dans l'acte de peindre, c'est toujours avec une certaine fièvre que je m'empare d'un pinceau, gros, petit, plat ou fin et je puise sur la palette de la matière, du pigment. C'est avec une certaine excitation que je comble ce qui m'apparaît comme le manque de sens. Je tente de « colmater » ce qui me semble un déficit de couleur. Il n'en faut pas trop ! Je place ici où là, c'est ainsi. Il s'agit d'une évidence qui s'avère difficile à expliquer. Confronté à la surface, je reprends ensuite ma ronde.
Je recherche sur la toile, ce que je perçois comme déséquilibres ou des besoins de « colmatage ». Lorsque je considère qu'il s'agit du dernier moment de conjugaison sur la toile. Je suis saisi d'une grande perplexité. Je dois revisiter l'ensemble, sa topographie, l'écriture et son ordonnancement. Il ne doit rien manquer. Après toutes ces années d'études, j'ai le sentiment que ma «grammaire » personnelle n'est pas encore totalement constituée.
Le travail sur la toile est un moment toujours complexe. La mise en couleur s'effectue au regard des lignes, des points. Les lignes sont des prétextes, des frontières poreuses. En même temps, elles deviennent, comme par enchantement des gardes couleurs. Les lignes empêchent les débordements. En même temps, elles suscitent le contournement de la règle. Je dois toujours faire le choix.

Dans sa transparence subtile, l'aquarelle, inscrit les pigments appliqués. Ils laissent des traces sur des aplats, déjà souillés par différents passages de couleurs. Un passage de plus et une certaine opacité définit un nouveau domaine. Par ajouts successifs, le signe s'élabore. Ici comme ailleurs, les
traces du passé s'impriment, elles restent.
La grammaire du peintre se constitue dans un rapport singulier à l'adjonction de règles. La pratique est une confrontation permanente. Une fois terminée, l'oeuvre interroge. Elle conjugue et contient les signes de l'ordonnancement final. Il n'y a plus besoin de légiférer. On en reste là. Un autre tableau amènera à reconsidérer ce qui était établi. L'imaginaire est à l'oeuvre. Placer un ton,
mélanger des pigments, une nouvelle histoire prend forme. La rencontre avec ce qui devient une « grammaire partielle » emprunte le regard éphémère de celui ou celle qui lui est étranger.
Je vous fait partager ce domaine, il m'appartient. J'ai le sentiment d'être comme l'écrivain qui s'expose en proposant à la lecture son manuscrit. Essayez de partager cette volonté qui est mienne de prendre le risque de me confronter à ce domaine singulier de la couleur pour dire.
Yves Bucas-Français

LIGNES et LUMIERES